Faut-il brûler les compteurs de rivets ?

Un titre provocateur pour un article au ton plus léger ! La figure du « compteur de rivets » est une figure récurrente du monde du modélisme ferroviaire et j’ai eu envie d’y réfléchir un peu. Ce coup de gueule contre les vieux grincheux publié récemment sur le blog  » letraindeManu « , m’a incité à terminer cet article pour lequel je prenais des notes depuis plusieurs mois. Au fond, cette figure un peu mythifiée du « compteur de rivets » est-elle si importante que cela ? Est-elle utile ? Et plus globalement surtout, quel sens lui donner…

Cet article de fond me permet de présenter cet outil, qui permet de figurer des lignes de rivets.

 L’évocation est-elle suffisante ou doit-on les compter ? Le débat est posé !

Quelques données du problème

Pour introduire le débat, deux échanges très différents à 25 ans d’intervalle.

Il me revient en mémoire une intervention publiée au courrier des lecteurs d’une revue de modélisme ferroviaire voilà près de 25 ans. Sans me souvenir littéralement de son texte, son auteur indiquait être un compteur de rivets, avançait aussi que le « juste » (?) ne coûtait pas plus cher (?) et surtout concluait de façon péremptoire que « seuls les modélistes qui fabriquaient eux-mêmes étaient des modélistes et pas les autres ! »

Voilà une des bornes du débat posée. Car au delà du caractère extrême de l’intervention, certains points évoqués sont au cœur du sujet tel que le fait de faire ou ne pas faire soi-même et le coût du modélisme ferroviaire.

Plus de 25 ans après, me voilà discutant avec un modéliste devant un réseau particulièrement réaliste durant Fédérail 2023 à St Rambert d’Albon. Disponible comme tous les modélistes ferroviaires durant ce genre de manifestation, nous entamons une discussion passionnée, faisons le point sur son projet et nous accordons au bout d’un moment sur le fait que nous ne sommes pas tous deux des « compteurs de rivets »…

Voilà une autre borne du débat posée. Un modéliste particulièrement talentueux indique avoir fixé ses propres limites en matière de réalisme. Car si le décor est remarquablement soigné, le matériel roulant n’est pas patiné par exemple. Ce modéliste considérait que la scène ainsi présentée lui convenait. D’ailleurs, il fallait un œil particulièrement attentif pour distinguer les points éventuellement perfectibles tant la réalisation globale était réussie. Et compte tenu du coût du matériel, il est compréhensible qu’un modéliste hésite à patiner son matériel roulant qui perdra un peu de valeur lors d’une éventuelle revente. Il est d’ailleurs très loin d’être le seul de faire ce genre de choix.

Le compteur de rivets : mythe ou réalité ?

Tout d’abord la figure du compteur de rivets est-elle  spécifique au modélisme ferroviaire ou se retrouve-elle aussi au sein des autres types de modélisme ?

Intuitivement, j’aurai été tenté de répondre oui à cette question, mais cherchant à y répondre, j’en suis revenu avec des résultats bien maigres… Car si on en trouve des traces dans le modélisme ferroviaire, il faudrait fouiller dans la documentation ou les forums dédiés aux autres types de modélisme pour investiguer ce point plus avant, ce à quoi je ne me suis pas résolu. En effet, une entrée simple par les moteurs de recherche ne donne que peu de résultats et renvoie aux méthodes et outils de fabrication des rivets ! Cette figure semble présente dans le modélisme militaire sans qu’il puisse être possible d’en mesurer le poids et l’importance. Peut-être que des lecteurs de cet article pratiquant d’autres formes de modélisme sauront en dire davantage.

Mais même dans le modélisme ferroviaire, il est un peu comme l’Arlésienne d’Alphonse Daudet ou le Godot de Samuel Beckett, on en parle tout le temps et il n’est guère visible. Pour avoir parlé avec nombre de modélistes durant Federail 2023 récemment, aucun ne se revendiquait comme un compteur de rivets ! Il est vrai que j’ai uniquement visité les réseaux dynamiques et ne me suis pas arrêté aux sujets statiques ; peut-être aurai-je dû chercher par là…

Autre hypothèse que nous pourrions formuler : le compteur de rivets s’assume-t-il ? Figure parfois un peu raillée, on peut penser que les compteurs de rivets ne se vantent pas particulièrement. J’observe d’ailleurs qu’au moment de la rédaction de cet article, aucun ne s’est manifesté en réponse au coup de gueule du blog « letraindeManu ».

Alors mythe ou réalité ? Au fond, ce n’est pas une question fondamentale : nous savons depuis les travaux de Claude Lévi-Strauss que l’étude et la compréhension des mythes est essentielle pour la compréhension des sociétés humaines. 

Peut-on décrire et définir le compteur de rivets ?

Il m’est apparu assez vite qu’il était difficile de répondre à cette question. Car elle revient à poser une multitude d’autres questions.

En repartant de l’hypothèse très partielle du modélisme statique, on pourrait ainsi avancer que le compteur de rivets serait alors plutôt un pratiquant de grandes échelles, le cas échéant vitriniste et féru de culture cheminote. Mais dans ce cas, ils sont probablement peu nombreux. Cela ne suffit pas à poser l’importance que cette figure prend dans le modélisme ferroviaire.

Tentons d’avancer un peu…

Le qualificatif de « compteur de rivets » vaut-il seulement sur les aspects visuels ? Autrement dit, le compteur de rivets est-il celui qui s’attache avant tout à la précision et à la justesse de ce que l’on voit ? Ou bien aussi celui qui s’attache aussi à la justesse et au réalisme du son par exemple ? (remarquons toutefois que le qualificatif d' »auditeur de bielles » n’a pas fait florès pour l’instant mais la progression de la technologie permet aujourd’hui tout type d’innovations et les cartes sonores deviennent de plus en plus précises…). Et si l’on se limite aux aspects visuels, il faut préciser les conditions de la vision : à distance sociale lors d’expositions ? Ou bien le nez collé à la vitrine chez soi ? En manipulant la maquette dans tous les sens, le cas échéant avec une loupe ? Y compris pour aller voir ce qui n’est pas ou peu visible ?

Le compteur de rivets serait alors le comptable du visible et du moins visible, traquant les défauts, les manques où les imprécisions jusqu’aux endroits les plus inaccessibles de la reproduction ? 

Mais le compteur de rivets peut-il être seulement celui qui exerce son regard acéré et critique sur une reproduction ou bien doit-il être aussi celui qui conçoit et qui réalise ? Autrement dit, faut-il absolument avoir un tour et une fraiseuse dans son atelier ?  Ou bien les monteurs et soudeurs de kits entrent-ils aussi dans la catégorie des potentiels compteurs de rivets ?

Enfin, un compteur de rivets se limite-t-il au seul matériel ferroviaire faisant fi de son environnement ou n’y attachant guère d’importance, au risque de présenter un décor peu réaliste ?

En énumérant ces questions, loin d’épuiser le sujet d’ailleurs, on s’aperçoit vite de la difficulté de cerner et de décrire la figure du compteur de rivets qui, si elle existe, ne peut prendre que de multiples aspects et de multiples contours.

Les compteurs de rivets et le modélisme d'atmosphère

Je souhaite ici défendre le modélisme d’atmosphère (1) et le distinguer de la démarche des compteurs de rivets. J’introduis ainsi un point de débat avec l’article salutaire du blog « Le traindeManu » qui dans une formule directe indique que « Le modélisme d’atmosphère tue le modélisme ferroviaire« . Je pense en effet que le modélisme d’atmosphère se distingue des compteurs de rivets sur au moins deux points. D’une part, le modélisme d’atmosphère est une démarche avant tout systémique qui cherche un équilibre entre la représentation du matériel roulant, la représentation du décor et le réalisme des scènes présentées ; là ou le compteur de rivets aura une démarche foncièrement analytique, inspectant, détaillant, divisant chaque partie de son modèle pour en traquer la cohérence et les failles. D’autre part, je pense que le modélisme d’atmosphère est avant tout un modélisme de l’émotion et de la sensibilité ; là où l’approche du compteur de rivets sera davantage un modélisme de la raison et de l’exactitude. Une nouvelle représentation de la confrontation entre Blaise Pascal et René Descartes en somme… 

Alors certes, cette distinction entre le modélisme d’atmosphère et le compteur de rivets est un peu caricaturale mais je pense qu’il y a là une démarche de modélistes – car il s’agit dans les deux approches de modélisme sans nul doute – foncièrement différente. Pour autant, je pense ces approches complémentaires.

(1) Le père du modélisme d’atmosphère est Jacques LEPLAT et il est toujours recommandé de lire ses ouvrages et de consulter son site.

Le comptage de rivets : un champ autonome du modélisme ?

Revenons à la citation du siècle dernier indiquant que « seuls les modélistes qui construisent sont des modélistes et pas les autres« … Il y a probablement chez certains la volonté de considérer leur pratique comme un champ autonome du modélisme, détaché des modélistes faisant de leur point de vue trop de compromis.

Quel que soit le modélisme pratiqué pourtant, il s’agit toujours d’une tentative de reproduction, d’une représentation partielle de la réalité. Et la réduction à l’échelle nécessitera toujours des compromis : plus ou moins importants selon l’échelle choisie et les techniques de reproduction utilisées. Il suffit de suivre les sujets consacrés à la construction intégrale sur les forums pour s’apercevoir à la fois du formidable degré de précision des modèles obtenus et des sommes de compromis que leur construction a demandés. L’exactitude est une chimère qui résiste peu aux contraintes de la réduction à l’échelle. Toutes les approches de modélisme font des compromis, il y a donc un continuum entre ces différentes pratiques et aucun champ n’est autonome.

D’aucuns feront valoir qu’ils sont d’autant plus de vrais modélistes qu’ils font d’autant moins de compromis. Mais dans ce cas, où sont les limites et qui les fixent ? Selon quelles règles, quelles lois, quelles normes ? Chacun est libre de fixer ses choix et ses limites dans sa pratique et nul n’est légitime à imposer les siennes. À trop refuser les compromis et à trop rechercher la perfection, on en arrive à exclure des pratiquants, parce que le prix du matériel devient inaccessible mais aussi et surtout, parce qu’ils ne se retrouvent pas dans une démarche qui pour la majorité d’entre eux est avant tout ludique. J’observe d’ailleurs que la standardisation des modules en France est détachée des questions d’exactitude et a pour objectif principal de permettre le partage des démarches entre modélistes, et au-delà avec le public. N’est-ce pas le plus important ?

Quelques réfléxions pour conclure

Le figure du compteur de rivets si elle est assez souvent citée est rarement définie, et je ne pense pas d’ailleurs y avoir apporté une contribution décisive. La plupart du temps, son évocation suggère une représentation implicite, que chacun nourrit avec sa propre ambition et ses propres expériences. Et pour revenir à la citation introductive, l’autoproclamé compteur de rivets serait indiqué à définir ce qu’est « le juste » en modélisme (le juste en mathématiques me semble pouvoir être suggéré mais en matière de modélisme ?) et à mieux expliciter par rapport à quoi cela n’est « pas plus cher »

Ce débat sur le plus ou moins juste ou le plus ou moins cher est au fond assez stérile. Je pense que l’essentiel est ailleurs en effet…

Car si le compteur de rivets est une figure marginale et en partie mythifiée, elle demeure avant tout une figure absolument nécessaire du modélisme ferroviaire. Parce qu’elle représente un optimum que chacun d’entre nous voudrait atteindre. Au fond, un compteur de rivets sommeille plus ou moins dans tout modéliste. Et parce que tous les modélistes tentent d’améliorer continuellement leurs projets, ils ont besoin de cette figure de l’absolu et de la perfection car c’est un moteur fondamental de notre passion. Mais c’est une démarche foncièrement individuelle car cet optimum à atteindre est propre à chacun d’entre nous. Voilà quinze jours, je discutais avec un fabricant de kits présent à l’exposition d’un club de modélisme ferroviaire de la région lyonnaise. Il exposait ces très beaux kits en laiton, m’expliquant qu’il en était venu à produire des modèles qu’il ne trouvait pas dans le commerce et m’indiquant aussi en réponse à ma question qu’il en avait vendu très peu… Il a élaboré son optimum, qui n’est pas le mien, et qui n’est pas celui d’autres modélistes. Pourtant, la démarche de chacun est légitime : chacun d’entre nous louera la qualité de ses réalisations et beaucoup d’entre nous auront envie de réaliser autre chose…

Merci de votre lecture, laissez-moi un commentaire si le cœur vous en dit et à bientôt !

Cet article a 2 commentaires

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